Situation de blocage, l’espoir des migrants désenchanté par une Europe repliée sur elle-même

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Un accord récent entre l’Union Européenne (UE) et le Gouvernement d’Erdogan permet de reconduire en Turquie des migrants arrivés sur les îles grecques de Lesbos et Chios. Alors qu’une répartition des migrants était prévue au sein de l’UE, des pays européens ferment leurs frontières ou refusent d’accueillir ce flux de réfugiés. Ces situations de blocage posent des questions liées au respect des réfugiés ou des migrants. Pour les associations et les bénévoles, cela complique l’aide à apporter, au point d’être pénible ou parfois ubuesque. La persécution poursuit-elle les réfugiés sur leur route et en Europe ?

Selon les accords européens de 2015, la France devait accueillir 30 000 réfugiés sur deux ans « relocalisés » de la Grèce ou d’Italie, seulement 62 sont arrivés. Les camps « bidonville » sont démantelés partiellement à Calais, ou complétement à Grande-Synthe. Le maire de Grande-Synthe a ouvert un autre camp répondant aux normes internationales, aidés par MSF. Le Gouvernement a essayé cyniquement de le fermer sous le prétexte qu’il ne respectait pas les normes de sécurité. Empêchés d’aller plus loin, ils errent dans des conditions déplorables sans qu’il y ait une vraie solution pour les migrants. L’Allemagne qui prévoyait d’accueillir 800 000 réfugiés en 2015, restreint les arrivées depuis le début de l’année. A l’est de l’Europe, la route des Balkans se ferme en même temps que les frontières. Dernière en date, la Macédoine a fermé sa frontière avec la Grèce. Un camp improvisé s’est établi à Idomeni. Au moins 12 000 réfugiés dont de nombreuses familles, s’entassent depuis des jours, dans des conditions sordides, dans ce camp et ses alentours. Panagiotis Kouroublis, ministre de l’intérieur grec, a déclaré lors d’une visite à ce camp : «Je n’hésite pas à dire que (Idomeni) est le Dachau des temps modernes, le résultat de la logique des frontières fermées». Le voyage des migrants tourne au calvaire. Il est fait de questions sans réponses, de changements de dernière minute, voire d’indifférence, d’affronts ou d’humiliations.

Le travail des bénévoles, d’associations ou d’églises est rendu difficile par cette situation. Le démantèlement des camps en France entraîne des difficultés pour aider ces personnes. L’association « Help Refugees » alerte sur la disparition de 129 réfugiés mineurs isolés, depuis le démantèlement, au mois de mars, de la « jungle » de Calais. En Europe, plus de 10 000 enfants migrants non accompagnés auraient disparus. Comment aider ces migrants alors qu’ils ne peuvent avoir un lieu sûr, fixe ? Comment les suivre et trouver une solution d’accueil digne de ce nom, alors que les règles changent ? De cette précarité, de ces incertitudes naissent de la violence interethnique, religieuse ou envers les femmes isolées. Les habitants des îles de la mer Égée (Grèce) ont été sélectionnés pour le Prix Nobel de la Paix en récompense de l’aide qu’ils apportent aux réfugiés. Sur l’ile de Lesbos habitants et bénévoles sont cités en exemple par les médias. Alors comment comprendre qu’un camp tenu par des bénévoles soit obligé de fermer, suite au dernier accord entre l’Europe et la Turquie ? Celui de Moria est même devenu un camp de rétention, une prison où il est interdit de sortir ou d’entrer. Des manifestants se sont mobilisés dès les premiers renvois en Turquie de ceux qui ont risqués leur vie pour un peu d’espoir. Sur une pancarte « Refugees ♥ Welcome - No one is illegal » « Bienvenue ♥ Réfugiés Personne n’est illégal »

Vu de Berlin, le plan avec la Turquie consiste à « remplacer l’immigration illégale par de l’immigration légale ». Mais cet accord Europe-Turquie pose des questions juridiques de respect du droit des migrants, des réfugiés ou des règles de demande d’asile. L’objectif était de fermer les vannes et la traversée de la Turquie vers la Grèce et donc l’afflux vers l’Europe. Toute personne arrivée après le 20 mars, peut être potentiellement renvoyée en Turquie, accompagnée par des policiers. Ceux-ci venant des 28 pays européens peuvent-ils remplacer les bénévoles ? Cet accord n’a pas arrêté la détermination des migrants à traverser la mer Egée, et ce, au péril de leur vie.

L’Europe aurait-elle oublié que ces personnes fuient la guerre, la mort ou la persécution dans l’espoir d’une vie paisible, dans l’attente d’un pays d’accueil où ils puissent vivre avec leur famille ? Aurait-on oublié notre propre histoire, les départs sur les routes, les déportations, la fuite devant la mort... lors de la seconde Guerre Mondiale ?

« Durant sa visite, le pape François mettra l’accent sur le rôle crucial de la solidarité locale et internationale pour venir en aide aux plus vulnérables dans le contexte de la crise des réfugiés. Il doit aussi parler franchement des violations, de la peur et de l’angoisse que vivent des milliers de réfugiés et migrants pris au piège de l’incertitude à Lesbos et ailleurs en Grèce », a déclaré Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe à Amnesty International.

Annoncée pour ce samedi 16 avril 2016, la visite du Pape François sur l’île de Lesbos, accompagné par le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée et l’archevêque d’Athènes Hyeronimos sera une occasion « d’exprimer proximité et solidarité à la fois aux réfugiés, aux citoyens de Lesbos et à tout le peuple grec, si généreux dans l’accueil». Si ce voyage n’est pas politique, le Vatican regrette qu’on n’ait pas trouvé de solution aux souffrances de tant de personnes. La situation humanitaire est sérieuse et grave, a reconnu le Père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, devant les journalistes ce jeudi 14 avril, et il reste encore beaucoup à faire pour trouver des solutions plus adéquates, et dans le respect de la dignité humaine.

L’Europe doit chercher une solution à cette crise migratoire mais ne pas oublier les valeurs qui l’ont unie. « Certes, il est nécessaire de gouverner le phénomène migratoire et de gérer les situations d’urgence, mais sans jamais perdre de vue la dignité humaine des migrants, des personnes en chair et en os qui fuient le désespoir et qui souvent ont tout perdu », exprimait le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne (Autriche) en espérant que l’Europe chrétienne retrouve le cœur qu’elle semble avoir perdu.

Nathanaël Bechdolff

Crédit photo : CC FlickR @malachybrowne

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